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ce malheur qui brise toutes mes espérances de fortune en ce pays, et par conséquent dans ce monde, dont la France est l’âme, c’est à la créature que voici endormie, c’est à cette belle statue au doux sourire que je le dois. Je dois à cet ange sinistre le déshonneur et la ruine, en attendant que je lui doive la captivité, l’exil et la mort.

« Donc, continua-t-il en s’animant, la somme du bien a été dépassée par celle du mal, et Lorenza m’est nuisible.

« Ô serpent aux replis gracieux, mais qui étouffent ; à la gorge dorée, mais pleine de venin ; dors donc, car je vais être obligé de te tuer quand tu te réveilleras ! »

Et Balsamo, avec un sinistre sourire, se rapprocha lentement de la jeune femme dont les yeux, chargés de langueur, se levèrent sur lui à mesure qu’il s’approchait, comme s’ouvrent les tournesols et les volubilis au premier rayon du soleil levant.

— Oh ! dit Balsamo, il faudra cependant que je ferme à tout jamais ces yeux qui, à cette heure, me regardent si tendrement ; ces beaux yeux pleins d’éclairs aussitôt qu’ils ne sont pas pleins d’amour.

Lorenza sourit doucement, et, en souriant, montra la double rangée si suave et si pure de ses dents de perles.

— Mais en tuant celle qui me hait, continua Balsamo en se tordant les bras, je tuerai donc aussi celle qui m’aime !

Et son cœur s’emplit d’un profond chagrin, étrangement mêlé d’un vague désir.

— Non, murmura-t-il, non ; j’ai juré en vain. J’ai menacé inutilement, non, je n’aurai jamais le courage de la tuer ; non, elle vivra, mais elle vivra sans jamais être plus éveillée ; mais elle vivra de cette vie factice qui sera pour elle le bonheur, tandis que l’autre est le désespoir. Puissé-je la rendre heureuse ! Qu’importe le reste… elle n’aura plus qu’une existence, celle que je lui ferai, celle pendant laquelle elle m’aime, celle dont elle vit en ce moment.

Et il étreignit d’un tendre regard le regard amoureux de Lorenza, tout en abaissant lentement une main sur sa tête.

En ce moment, Lorenza, qui semblait lire dans la pensée