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C’étaient des bourgeois de Versailles ou de Paris, qui, avec toute la politesse imaginable, demandaient des nouvelles du roi aux gardes du corps qui arpentaient silencieusement la cour d’honneur, les mains derrière le dos.

Peu à peu ces groupes se dispersèrent : les gens de Paris prirent place dans les pataches pour rentrer paisiblement chez eux ; les gens de Versailles, sûrs d’avoir les nouvelles de première main, rentrèrent également dans leurs maisons.

On ne vit plus dans la ville que des patrouilles du guet qui faisaient leur devoir un peu plus mollement que de coutume, et ce monde gigantesque qu’on appelle le palais de Versailles s’ensevelit peu à peu dans la nuit et le silence, comme le monde un peu plus grand qui le contient.

À l’angle de la rue bordée d’arbres qui fait face au palais, sur un banc de pierre, et sous le feuillage déjà touffu des marronniers, un homme d’un âge avancé était assis ce soir-là, le visage tourné vers le château, sa canne servant d’appui à ses deux mains, qui à leur tour servaient d’appui à sa tête pensive et poétique.

C’était pourtant un vieillard courbé, maladif, mais dont l’œil lançait encore une flamme, et dont la pensée flamboyait plus ardente encore que les yeux.

Il s’était abîmé dans sa contemplation, dans ses soupirs, ne voyant pas, à l’extrémité de la place, un autre personnage qui, après avoir regardé curieusement aux grilles et questionné les gardes du corps, traversait diagonalement l’Esplanade, et venait droit au banc avec l’intention de s’y reposer.

Ce personnage était un homme jeune, aux pommettes saillantes, au front déprimé, au nez aquilin, tortu, au sourire sardonique. Tout en marchant vers le banc de pierre, il ricanait, bien que seul, faisant écho par ce rire à quelque secrète pensée.

À trois pas du banc il aperçut le vieillard, et s’écarta tout en cherchant à le reconnaître de son regard oblique ; seulement, il craignait que son rire n’eût été interprété.

— Monsieur prend le frais ? dit-il en se rapprochant par un mouvement brusque.

Le vieillard leva la tête.

— Eh ! s’écria le jeune homme, c’est mon illustre maître.