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dunette. Seulement à l’avant, sur la proue, penché sur le mât de beaupré, dormait ou rêvait une figure noire, que Philippe distingua péniblement dans l’ombre, quelque passager de la seconde chambre sans doute, quelque pauvre exilé qui regardait en avant, désirant le port de l’Amérique, tandis que Philippe regrettait le port de France.

Philippe regarda longtemps ce voyageur immobile dans sa contemplation ; puis le froid du matin le saisit ; il se préparait à rentrer dans sa cabine… Cependant, le passager de l’avant observait aussi le ciel qui commençait à blanchir. Philippe entendit le capitaine s’approcher, il se retourna.

— Vous prenez le frais, capitaine ? dit-il.

— Monsieur, je me lève.

— Vous avez été devancé par vos passagers, comme vous voyez.

— Par vous ; mais les officiers sont matineux comme les marins.

— Oh ! non seulement par moi, dit Philippe… Voyez là-bas, cet homme qui rêve si profondément, c’est un de vos passagers aussi, n’est-ce pas ?

Le capitaine regarda et parut surpris.

— Qui est cet homme ? demanda Philippe.

— Un… marchand, dit le capitaine avec embarras.

— Qui court après la fortune ? murmura Philippe. Ce brick va trop lentement pour lui.

Le capitaine, au lieu de répondre, alla tout à l’avant trouver ce passager, auquel il dit quelques mots, et Philippe le vit disparaître dans l’entrepont.

— Vous avez troublé son rêve, dit Philippe au capitaine quand ce dernier l’eut rejoint ; il ne me gênait pas, pourtant.

— Non, monsieur ; je l’ai averti que le froid du matin est dangereux dans ces parages : les passagers de seconde classe n’ont pas, comme vous, de bons manteaux.

— Où sommes-nous, capitaine ?

— Monsieur, nous verrons demain les Açores, à l’une desquelles nous ferons un peu d’eau fraîche, car il fait bien chaud.