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dans cette forêt, il avait cité trois ou quatre villages cachés comme des nids au plus profond de la feuillée.

Or, il était impossible qu’on allât découvrir l’enfant de Gilbert dans un de ces villages.

Haramont surtout avait frappé Rousseau, si bien que Rousseau le misanthrope, Rousseau le solitaire, Rousseau l’ermite, répétait à chaque instant :

— Haramont est le bout du monde ; Haramont c’est le désert : on peut vivre et mourir là comme l’oiseau, sur la branche quand il vit, sous la feuille quand il meurt.

Gilbert avait encore entendu le philosophe raconter les détails d’un intérieur de chaumière, et rendre, avec ces traits de feu dont il animait la nature, depuis le sourire de la nourrice jusqu’au bêlement de la chèvre ; depuis l’odeur appétissante de la grossière soupe aux choux, jusqu’aux parfums des mûriers sauvages et des bruyères violacées.

— J’irai là, s’était dit Gilbert ; mon enfant grandira sous les ombrages où le maître a exhalé des souhaits et des soupirs.

Pour Gilbert, une fantaisie était une règle invariable, surtout quand cette fantaisie se présentait avec des apparences de nécessité morale.

Sa joie fut donc grande quand maître Niquet, allant au-devant de ses désirs, lui nomma Haramont comme un village qui convenait parfaitement à ses intentions.

De retour à Paris, Gilbert s’était préoccupé du cabriolet.

Le cabriolet n’était pas beau, mais il était solide : c’était tout ce qu’il fallait. Les chevaux étaient des percherons trapus, le postillon un lourdaud d’écurie ; mais ce qui importait à Gilbert, c’était d’arriver au but et surtout de n’éveiller aucune curiosité.

Sa fable n’avait, d’ailleurs, inspiré aucune défiance à maître Niquet ; il était d’assez bonne mine avec ses habits neufs, pour ressembler à un fils d’intendant de bonne maison ou à un valet de chambre, déguisé, de duc et pair.

Son ouverture n’en inspira pas davantage au conducteur ; c’était le temps des confidences de peuple à gentilhomme ; on