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— Moi, reprit vivement la jeune fille… moi, je n’ai connu ni préparation, ni transformation ; moi, je suis une anomalie ; moi, je n’ai pas aimé, je n’ai pas désiré ; moi, j’ai l’esprit et le cœur aussi vierges que le corps… Et cependant !… triste prodige… ce que je n’ai pas désiré, ce que je n’ai pas rêvé même, Dieu me l’envoie… lui qui n’a jamais donné de fruits à l’arbre créé pour être stérile… Où sont chez moi les aptitudes, les instincts ? Où sont les ressources même ?… La mère qui souffre les douleurs de l’enfantement connaît et apprécie son sort ; moi, je ne sais rien, moi je tremble de penser, moi je vais à ce dernier jour comme si j’allais à l’échafaud… Philippe, je suis maudite !…

— Andrée, ma sœur !

— Philippe, reprit-elle avec une véhémence inexprimable, ne sens-je pas bien que je hais cet enfant ?… Oh ! oui, je le hais, je me rappellerai toute ma vie, si je vis, Philippe, le jour où, pour la première fois, s’éveilla dans mon flanc cet ennemi mortel que je porte ; je frissonne encore quand je me souviens que ce tressaillement, si doux aux mères, de cette créature innocente alluma dans mon sang une fièvre de colère, et fit monter le blasphème à mes lèvres, jusque-là si pures. Philippe, je suis une mauvaise mère ! Philippe, je suis maudite !

— Au nom du ciel, bonne Andrée, calme-toi ; n’égare pas ton cœur avec ton esprit. Cet enfant, c’est ta vie et le sang de tes entrailles ; cet enfant, je l’aime, car il vient de toi.

— Tu l’aimes ! s’écria-t-elle furieuse et livide ; tu oses me dire à moi que tu aimes mon déshonneur et le tien ! tu oses me déclarer que tu aimes ce souvenir d’un crime, cette représentation du lâche criminel !… Eh bien, Philippe, je te l’ai dit, je ne suis pas lâche, moi, je ne suis pas fausse ; je hais l’enfant, parce qu’il n’est pas mon enfant et que je ne l’ai pas appelé ; je l’exècre, parce qu’il ressemblera peut-être à son père… Son père !… Oh ! je mourrai un jour en prononçant cet horrible mot ! Mon Dieu ! dit-elle en se jetant à genoux sur le parquet, je ne peux tuer cet enfant à sa naissance, c’est vous qui l’avez animé… Je n’ai pu me tuer moi-même tant que je