Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/254

Cette page n’a pas encore été corrigée

Quand le soleil, déjà haut sur l’horizon, pénétra dans la mansarde, Gilbert se leva chancelant, avec le dernier espoir d’apercevoir son ennemie dans le jardin ou dans le pavillon même.

C’était encore une joie dans le malheur.

Mais, tout à coup un flot amer de dépit, de remords, de colère, vint noyer sa pensée ; il se rappela tout ce que la jeune fille lui avait fait subir de dégoûts, de mépris ; et, s’arrêtant lui-même au milieu du grenier, par un ordre que la volonté donna rudement à la matière :

— Non ! dit-il, non, tu n’iras pas regarder à cette fenêtre ; non, tu ne t’infiltreras plus le poison dont tu te plais à mourir. C’est une cruelle, celle qui jamais, quand tu courbais le front devant elle, ne t’a souri, ne t’a adressé une parole de consolation ou d’amitié ; celle qui a pris plaisir à broyer dans ses ongles ton cœur encore plein d’innocence et de chaste amour. C’est une créature sans honneur et sans religion, celle qui nie à l’enfant son père, son soutien naturel, et qui condamne la pauvre petite créature à l’oubli, à la misère, à la mort peut-être, attendu que cet enfant déshonore les entrailles où il a été conçu. Eh bien, non, Gilbert, tout criminel que tu fus, tout amoureux et lâche que tu es, je te défends de marcher vers cette lucarne, et d’adresser un seul regard dans la direction du pavillon ; je te défends de l’apitoyer sur le sort de cette femme, et d’affaiblir les ressorts de ton âme en songeant à tout ce qui s’est passé. Use ta vie comme la brute, dans le travail et la satisfaction des besoins matériels ; use le temps qui va s’écouler entre l’affront et la vengeance, et souviens-toi toujours que le seul moyen de te respecter encore, de te tenir au-dessus de ces nobles orgueilleux, c’est d’être plus noble qu’eux-mêmes.

Pâle, tremblant, attiré par le cœur du côté de cette fenêtre, il obéit pourtant à l’ordre de l’esprit. On eût pu le voir, peu à peu, lentement, comme si ses pieds eussent pris racine en cette chambre, marcher un pas l’un après l’autre pour se porter du côté de l’escalier. Enfin, il sortit pour se rendre chez Balsamo.