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dans la tête de ce jeune homme, pendant les deux heures et demie qu’il marcha.

En deux heures et demie, il avait fait plus de quatre lieues, et cela sans s’apercevoir de la distance, sans ressentir la moindre fatigue, tant c’était une puissante organisation que celle de ce jeune homme.

Tous ses plans étaient faits, et il s’était arrêté à cette façon d’introduire sa demande :

Aborder le père Taverney avec de pompeuses paroles ; puis, quand il aurait l’autorisation du baron, mademoiselle Andrée, avec des discours d’une telle éloquence, que non seulement elle pardonnât, mais encore qu’elle conçût du respect et de l’affection pour l’auteur de la pathétique harangue qu’il avait préparée.

À force d’y songer, l’espérance avait pris le dessus sur la crainte, et il semblait impossible à Gilbert qu’une fille, dans la position où se trouvait Andrée, n’acceptât point la réparation offerte par l’amour, quand cet amour se présentait avec une somme de cent mille écus.

Gilbert, bâtissant tous ces châteaux en Espagne, était naïf et honnête comme le plus simple enfant des patriarches. Il oubliait tout le mal qu’il avait fait, ce qui était peut-être d’un cœur plus honnête qu’on ne le pense.

Toutes ses batteries préparées, il arriva, le cœur dans un étau, sur le territoire de Trianon. Une fois là, il était prêt à tout : aux premières fureurs de Philippe, que la générosité de sa démarche devait cependant, selon lui, dissuader ; aux premiers dédains d’Andrée, que son amour devait soumettre ; aux premières insultes du baron, que son or devait adoucir.

En effet, Gilbert, tout éloigné de la société qu’il avait vécu, devinait instinctivement que trois cent mille livres dans la poche sont une sûre cuirasse ; ce qu’il redoutait le plus, c’était la vue des souffrances d’Andrée ; contre ce malheur seulement il craignait sa faiblesse, faiblesse qui lui eût ôté une partie des moyens nécessaires au succès de sa cause.

Il entra donc dans les jardins, regardant, non sans un orgueil