Tout à coup la porte d’entrée cria sur ses gonds, et vint arracher le philosophe à sa douce somnolence.
— Eh quoi ! se dit-il, déjà de retour !… me serais-je endormi quand je croyais rêver seulement ?
La porte de son cabinet s’ouvrit lentement à son tour.
Rousseau tournait le dos à cette porte ; convaincu que c’était Thérèse qui rentrait, il ne se dérangea même pas.
Il se fit un moment de silence.
Puis au milieu de ce silence :
— Pardon, monsieur, dit une voix qui fit tressaillir le philosophe.
Rousseau se retourna vivement.
— Gilbert ! dit-il.
— Oui, Gilbert ; encore une fois pardon, monsieur Rousseau.
C’était Gilbert, en effet.
Mais Gilbert hâve et les cheveux épars, cachant mal, sous ses vêtements en désordre, ses membres amaigris et tremblotants ; Gilbert, en un mot, dont l’aspect fit frémir Rousseau et lui arracha une exclamation de pitié qui ressemblait à de l’inquiétude.
Gilbert avait le regard fixe et lumineux des oiseaux de proie affamés ; un sourire de timidité affectée contrastait avec ce regard comme ferait, avec le haut d’une tête sérieuse d’aigle, le bas d’une tête railleuse de loup et de renard.
— Que venez-vous faire ici ? s’écria vivement Rousseau, qui n’aimait pas le désordre, et le regardait chez autrui comme un indice de mauvais dessein.
— Monsieur, répondit Gilbert, j’ai faim.
Rousseau frissonna en entendant le son de cette voix qui proférait le plus terrible mot de la langue humaine.
— Et comment êtes-vous entré ici ? demanda-t-il ; la porte était fermée.
— Monsieur, je sais que madame Thérèse met ordinairement la clef sous le paillasson ; j’ai attendu que madame Thérèse fût sortie, car elle ne m’aime pas et aurait peut-être refusé de me recevoir ou de m’introduire près de vous ; alors, vous