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pour toi de toute l’impunité du criminel. Mais espère, espère… Dieu est au-dessus de tout, Dieu réserve aux malheureux opprimés une triste joie qu’on appelle la vengeance.

— La vengeance !… murmura-t-elle effrayée elle-même de l’accentuation terrible que Philippe avait mise sur ce mot.

— En attendant, repose-toi, ma sœur, de tous les chagrins, de toutes les hontes que ma folle curiosité t’a causés. Si j’avais su ! oh ! si j’avais su !…

Et il cacha sa tête dans ses mains avec un désespoir affreux. Puis, se relevant soudain :

— De quoi me plaindrai-je ? dit-il avec un sourire, ma sœur est pure, elle m’aime ! jamais elle n’a trahi ni la confiance ni l’amitié. Ma sœur est jeune comme moi, bonne comme moi, nous vivrons ensemble, nous vieillirons ensemble… À deux, nous serons aussi forts que le monde entier !…

À mesure que le jeune homme parlait de consolation, Andrée s’assombrissait ; elle penchait vers la terre un front plus pâle, elle prenait l’attitude et le regard fixe du morne désespoir que Philippe venait de secouer si courageusement.

— Vous ne parlez jamais que de nous deux ! dit-elle en attachant son œil bleu si pénétrant sur la physionomie mobile de son frère.

— De qui voulez-vous que je parle, Andrée ? dit le jeune homme sentant le regard.

— Mais… nous avons un père… Comment traitera-t-il sa fille ?

— Je vous ai dit hier, répondit froidement Philippe, d’oublier tout chagrin, toute crainte, de chasser, comme le vent chasse une vapeur matinale, tout souvenir et toute affection qui ne seraient pas mon affection et mon souvenir… En effet, ma chère Andrée, vous n’êtes aimée de personne en ce monde, si ce n’est de moi ; je ne suis aimé de personne que de vous. Pauvres orphelins abandonnés, pourquoi subirions-nous un joug de reconnaissance ou de parenté ? avons-nous reçu des bienfaits, avons-nous senti la protection d’un père ?… Oh ! ajouta-t-il avec un amer sourire, vous savez à fond ma pensée,