Il vit M. de Taverney sortir avec madame la dauphine, et le docteur était déjà parti.
— C’est entre M. de Taverney et la dauphine, se dit-il, que l’explication aura lieu.
Le baron ne revint pas trouver sa fille ; Andrée resta seule chez elle et passa le temps sur son sofa, tantôt à une lecture que les spasmes de la migraine la forçaient d’interrompre, tantôt dans des méditations d’une profondeur et d’une impassibilité tellement étranges, que Gilbert les prenait pour des extases, lorsqu’il en surprenait une période par l’entre-bâillement du rideau que le vent soulevait.
Andrée, fatiguée de douleurs et d’émotions, s’endormit. Gilbert profita de ce répit pour aller recueillir au dehors les bruits et les commentaires.
Ce temps lui fut précieux, à cause des réflexions qu’il lui donna le temps de faire.
Le danger était tellement imminent, qu’il s’agissait de le combattre par une résolution soudaine, héroïque.
Ce fut le premier point d’appui sur lequel cet esprit chancelant, à force d’être subtil, retrouva du ressort et du repos.
Mais quelle résolution prendre ? Un changement dans des circonstances pareilles est une révélation. ― La fuite ? ― Ah ! oui ! la fuite, avec cette énergie de la jeunesse, avec cette vigueur du désespoir et de la peur, qui doublent les forces d’un homme et les égalent à celles de toute une armée… Se cacher le jour, marcher la nuit, et parvenir enfin…
Où ?
En quel endroit se cacher si bien, que ne puisse y atteindre le bras vengeur de la justice du roi ?
Gilbert connaissait les mœurs de la campagne. Que pense-t-on dans des pays presque sauvages, presque déserts ? ― car, pour les villes il n’y faut pas songer, ― que pense-t-on dans une bourgade, dans un hameau, de l’étranger qui vient mendier un jour son pain, ou qu’on soupçonne de le voler ? Et puis Gilbert se savait par cœur : une figure remarquable, une figure qui désormais porterait l’empreinte indélébile d’un secret terrible, attirerait l’attention du premier observateur.