— C’est bien, dit Philippe, après un long silence ; c’est bien, Andrée, je te remercie. À présent je vois clair jusqu’au fond du cœur. Oui, tu es pure, innocente, chère victime ; mais il est des boissons magiques, des philtres empoisonnés ; quelqu’un t’a tendu un piège infâme : ce que, vivante, nul n’eût pu t’arracher avec la vie, eh bien, on te l’aura dérobé pendant ton sommeil. Tu es tombée dans quelque piège, Andrée ; mais maintenant nous voilà unis ; par conséquent, maintenant, nous voilà forts. Tu me confies le soin de ton honneur, n’est-ce pas, et celui de ta vengeance ?
— Oh ! oui, oui, dit vivement Andrée avec un sombre éclat ; oui, car si tu me venges, ce sera d’un crime.
— Eh bien, continua Philippe, voyons, aide-moi, soutiens-moi. Cherchons ensemble, remontons jour à jour les jours écoulés, suivons le fil secourable du souvenir, et au premier nœud de cette trame obscure…
— Oh ! je le veux ! je le veux ! dit Andrée ; cherchons.
— Voyons, as-tu remarqué que quelqu’un te suivît, te guettât ?
— Non.
— Personne ne t’a écrit ?
— Personne.
— Pas un homme ne t’a dit qu’il t’aimât ?
— Pas un.
— Les femmes ont pour cela un instinct remarquable ; à défaut de lettres, à défaut d’aveu, as-tu jamais remarqué que quelqu’un te… désirât ?
— Je n’ai jamais rien remarqué de pareil.
— Chère sœur, cherche dans les circonstances de ta vie, dans les détails intimes.
— Guide-moi.
— As-tu fait quelque promenade seule ?
— Jamais, que je me rappelle, si ce n’est pour aller chez madame la dauphine.
— Quand tu t’éloignais dans le parc, dans la forêt ?
— Nicole m’accompagnait toujours.
— À propos, Nicole, elle t’a quittée ?