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— Je ne crois pas à l’impossibilité. Tu vois que je te fais beau jeu, moi !

— Eh bien ?

— Attends ; d’abord, la France n’est pas comme l’Angleterre, où l’on fit tout ce que tu veux faire, plagiaire que tu es ; la France n’est pas une terre isolée où l’on puisse renverser les ministères, casser les Parlements, établir des juges iniques, amener une banqueroute, fomenter des révoltes, allumer des révolutions, renverser des monarchies, élever des protectorats et culbuter les protecteurs, sans que les autres nations se mêlent un peu de ces mouvements. La France est soudée à l’Europe, comme le foie aux entrailles de l’homme ; elle a des racines chez toutes les autres nations, des fibres chez tous les peuples ; essaye d’arracher le foie à cette grande machine qu’on appelle le continent européen, et pendant vingt ans, trente ans, quarante ans peut-être, tout le corps frémira ; mais je cote au plus bas, et je prends vingt ans ; est-ce trop sage, philosophe ?

— Non, ce n’est pas trop, dit Balsamo, ce n’est même pas assez.

— Eh bien ! moi, je m’en contente. Vingt ans de guerre, de lutte acharnée, mortelle, incessante ; voyons, je mets cela à deux cent mille morts par année, ce n’est pas trop quand on se bat à la fois en Allemagne, en Italie, en Espagne, que sais-je moi ! Deux cent mille hommes par année, pendant vingt ans, cela fait quatre millions d’hommes ; en accordant à chaque homme dix-sept livres de sang, c’est à peu près le compte de la nature, cela fait, multipliez… 17 par 4, voyons… cela fait soixante-huit millions de livres de sang versé pour arriver à ton but. Moi, je t’en demandais trois gouttes. Dis maintenant quel est le fou, le sauvage, le cannibale de nous deux ? Eh bien ! tu ne réponds pas ?

— Si fait, maître, je vous réponds que ce ne serait rien, trois gouttes de sang, si vous étiez sûr de réussir.

— Et toi, toi qui en répands soixante-huit millions de livres, es-tu sûr ? Dis ! Alors lève-toi, et la main sur ton cœur, réponds : «