Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Libres, tous ?

— Tous.

— Il y aura alors en France trente millions d’hommes libres ?

— Oui.

— Et parmi ces trente millions d’hommes libres, tu crois qu’il ne se rencontrera pas un homme un peu mieux fourni de cervelle que les autres, lequel confisquera un beau matin la liberté de ces vingt-neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix neuf concitoyens, pour avoir un peu plus de liberté à lui seul ? Te rappelles-tu ce chien que nous avions à Médine, et qui mangeait à lui seul la part de tous les autres ?

— Oui, mais, un beau jour, les autres se sont unis contre lui et l’ont étranglé.

— Parce que c’étaient des chiens ; des hommes n’eussent rien dit.

— Vous mettez donc l’intelligence de l’homme au-dessous de celle du chien, maître ?

— Dame ! les exemples sont là.

— Et quels exemples ?

— Il me semble qu’il y a eu chez les anciens un certain César Auguste, et chez les modernes un certain Olivier Cromwell, qui mordirent ardemment le gâteau romain et le gâteau anglais, sans que ceux auxquels ils l’arrachaient aient dit ou fait grand-chose contre eux.

— Eh bien ! en supposant que cet homme surgisse, cet homme sera mortel, cet homme mourra, et avant de mourir, il aura fait du bien à ceux mêmes qu’il aura opprimés, car il aura changé la nature de l’aristocratie ; obligé de s’appuyer sur quelque chose, il aura choisi la chose la plus forte, c’est-à-dire le peuple. À l’égalité qui abaisse, il aura substitué l’égalité qui élève. L’égalité n’a point de barrière fixe, c’est un niveau de celui qui subit la hauteur de celui qui la fait. Or, en élevant le peuple, il aura consacré un principe inconnu jusqu’à lui. La Révolution aura fait les Français libres. Le protectorat