le duc, vous êtes un bon parent, j’en ai eu plus d’une preuve.
— Vous n’avez rien en vue, d’Aiguillon ?
— Absolument rien, sinon de n’être pas dégradé de mon titre de duc et pair, comme le demandent messieurs du parlement.
— Vous avez des soutiens quelque part ?
— Moi ? Pas un.
— Vous fussiez donc tombé sans la circonstance présente ?
— Tout à plat, monsieur le duc.
— Ah çà ! mais vous parlez comme un philosophe… Que diable, aussi, c’est que je te rudoie, mon pauvre d’Aiguillon, et que je te parle en ministre plutôt qu’en oncle.
— Mon oncle, votre bonté me pénètre de reconnaissance.
— Si je t’ai fait venir de là-bas et si vite, tu comprends bien que c’est pour te faire jouer ici un bon rôle… Voyons, as-tu bien réfléchi parfois à celui qu’a joué pendant dix ans M. de Choiseul ?
— Oui, certes ; il était beau.
— Beau, entendons-nous, beau lorsque avec madame de Pompadour il gouvernait le roi et faisait exiler les jésuites ; triste, fort triste, lorsque, s’étant brouillé comme un sot avec madame du Barry, qui vaut cent Pompadour, il s’est fait mettre à la porte en vingt-quatre heures… Tu ne réponds pas ?
— J’écoute, monsieur, et je cherche où vous en voulez venir.
— Tu l’aimes, n’est-ce pas, ce premier rôle de Choiseul ?
— Certainement.
— Eh bien, mon cher ami, ce rôle, j’ai décidé que je le jouerais.
D’Aiguillon se tourna brusquement vers son oncle.
— Vous parlez sérieusement ? dit-il.
— Mais oui ; pourquoi pas ?
— Vous serez l’amant de madame du Barry ?
— Ah diable ! tu vas trop vite ; cependant je vois que tu m’as compris. Oui, Choiseul était bien heureux, il gouvernait le roi et gouvernait sa maîtresse ; il aimait, dit-on, madame de Pompadour…