Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/305

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui, par le regard et la volonté, sont jeunes jusqu’à la vieillesse décrépite.

Les soucis du gouvernement n’avaient pas imprimé une ride sur son front, ils avaient seulement agrandi le pli naturel qui semble, chez les hommes d’État et chez les poètes, l’asile des grandes pensées. Il tenait droite et haute sa belle tête pleine de finesse et de mélancolie, comme s’il savait que la haine de dix millions d’hommes pesait sur cette tête, mais comme si, en même temps, il eût voulu prouver que le poids n’était pas au-dessus de sa force.

M. d’Aiguillon avait les plus belles mains du monde, de ces mains qui semblent blanches et délicates, même dans les flots de la dentelle. On prisait fort en ce temps une jambe bien tournée, celle du duc était un modèle d’élégance nerveuse et de forme aristocratique. Il y avait en lui de la suavité du poète et de la noblesse du grand seigneur, de la souplesse et du moelleux d’un mousquetaire. Pour la comtesse, c’était un triple idéal : elle trouvait en un seul modèle trois types que d’instinct cette belle sensuelle devait aimer.

Par une singularité remarquable, ou, pour mieux dire, par un enchaînement de circonstances combinées par la savante tactique de M. d’Aiguillon, ces deux héros de l’animadversion publique, la courtisane et le courtisan, ne s’étaient pas encore vus face à face, à la cour, avec tous leurs avantages.

Depuis trois ans, en effet, M. d’Aiguillon s’était fait très-occupé en Bretagne ou dans son cabinet, il avait peu prodigué sa personne à la cour, sachant bien qu’il allait arriver une crise favorable ou défavorable ; que dans le premier cas, mieux valait offrir à ses administrés les bénéfices de l’inconnu, dans le second, disparaître sans trop laisser de traces pour pouvoir facilement sortir du gouffre plus tard avec une figure neuve.

Et puis une autre raison dominait tous ces calculs, celle-ci est du ressort du roman, elle était pourtant la meilleure.

Avant que madame Dubarry ne fût comtesse et n’effleurât chaque nuit de ses lèvres la couronne de France, elle avait été une jolie créature souriante et adorée, elle avait été aimée,