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un ciel d’orage, là resplendissants sous la brûlante haleine d’un soleil d’août, plus haut froids et ternes comme par une gelée de décembre. Il ne s’agissait que de choisir sa vitre, c’est-à-dire son goût, et de regarder.

Ce spectacle divertit beaucoup Gilbert, et il observa par tous les losanges le riche bassin qui se déploie aux regards du haut de la colline de Luciennes et au milieu duquel serpente la Seine.

Un spectacle cependant assez intéressant aussi, du moins M. de Jussieu le jugeait-il de la sorte, c’était le charmant déjeuner servi sur la table de bois rocailleux, au milieu du pavillon.

La crème exquise de Marly, les beaux abricots et les prunes de Luciennes, les crépinettes et les saucisses de Nanterre, fumantes sur un plat de porcelaine, sans qu’on eût vu un seul domestique les apporter ; les fraises toutes riantes dans un charmant panier tapissé de feuilles de vigne, et, à côté d’un beurre éblouissant de fraîcheur, le gros pain bis du villageois et le pain de gruau doré, cher à l’estomac blasé de l’habitant des villes, voilà ce qui fit jeter un petit cri d’admiration à Rousseau, philosophe s’il en fut, mais gourmet naïf, parce qu’il avait l’appétit aussi vif que le goût modeste.

— Quelle folie ! dit-il à M. de Jussieu, le pain et les fruits, voilà ce qu’il nous fallait, et encore eussions-nous dû, en vrais botanistes et en laborieux explorateurs, manger le pain et croquer les prunes, sans cesser de fouiller dans les touffes et de creuser les fossés. Vous rappelez-vous, Gilbert, mon déjeuner de Plessis-Piquet, le vôtre ?

— Oui, monsieur : ce pain et ces cerises qui me parurent si délicieux.

— Précisément. À la bonne heure, voilà comme déjeunent de vrais amants de la nature.

— Mon cher maître, interrompit M. de Jussieu, si vous me reprochez la prodigalité, vous avez tort ; jamais plus modeste service…