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en vérité, et que l’ambition de mademoiselle Nicole l’aura menée loin. Nicole, la maîtresse d’un garde-française !

Et Gilbert se mit à chanter en éclatant de rire :

Dans les gardes-françaises
J’avais un amoureux !

— Par pitié, monsieur Gilbert, dit Nicole, ne me regardez pas ainsi. Votre regard est méchant, il reluit dans les ténèbres. Par pitié, ne riez pas non plus, votre rire me fait peur.

— Alors, dit Gilbert d’un ton de voix impératif, ouvrez-moi la porte, Nicole, et plus un seul mot de tout ceci.

Nicole ouvrit la porte avec un tremblement nerveux si violent que l’on pouvait voir ses épaules s’agiter et sa tête remuer comme celle d’une vieille.

Gilbert sortit tranquillement le premier, et voyant que la jeune fille le guidait vers la porte de sortie :

— Non, dit-il, non ; vous avez vos moyens pour faire entrer les gens ici ; moi j’ai mes moyens pour en sortir. Allez dans la serre, allez retrouver ce cher M. de Beausire qui doit vous attendre avec impatience, et demeurez avec lui dix minutes de plus que vous ne deviez le faire. J’accorde cette récompense à votre discrétion.

— Dix minutes, et pourquoi dix minutes ? demanda Nicole toute tremblante.

— Parce qu’il me faut ces dix minutes pour disparaître ; allez, mademoiselle Nicole, allez donc ; et pareille à la femme de Loth, dont je vous ai raconté l’histoire à Taverney, quand vous me donniez des rendez-vous dans les meules de foin, n’allez pas vous retourner, car il vous arriverait pis que d’être changée en statue de sel. Allez, belle voluptueuse, allez maintenant ; je n’ai pas autre chose à vous dire.

Nicole subjuguée, épouvantée, terrassée par cet aplomb de Gilbert, qui tenait dans ses mains tout son avenir, regagna tête baissée la serre, où effectivement l’attendait, dans une grande anxiété, l’exempt Beausire.