un bourreau à l’œuvre et enthousiaste de son métier, qu’un médecin accomplissant sa triste et sainte mission.
Cependant le nom de Rousseau avait eu cette influence sur lui qu’il sembla un instant renoncer à sa brutalité ordinaire ; il ouvrit doucement la manche de Gilbert, comprima le bras avec une bande de linge, et piqua la veine.
Le sang coula goutte à goutte d’abord, mais, après quelques secondes, ce sang pur et généreux de la jeunesse commença de jaillir.
— Allons, allons, on le sauvera, dit l’opérateur, mais il faudra de grands soins, la poitrine a été rudement froissée.
— Il me reste à vous remercier, monsieur, dit Rousseau, et à vous louer, non pas de l’exclusion que vous faites en faveur des pauvres, mais de votre dévouement aux pauvres. Tous les hommes sont frères.
— Même les nobles, même les aristocrates, même les riches ? demanda le chirurgien avec un regard qui fit briller son œil aigu sous sa lourde paupière.
— Même les nobles, même les aristocrates, même les riches, quand ils souffrent dit Rousseau.
— Pardonnez, monsieur, dit l’opérateur ; mais je suis né à Baudry, près de Neuchâtel ; je suis Suisse comme vous, et par conséquent, un peu démocrate.
— Un compatriote ! s’écria Rousseau ; un Suisse ! Votre nom, s’il vous plaît, monsieur, votre nom ?
— Un nom obscur, monsieur, le nom d’un homme modeste qui voue sa vie à l’étude, en attendant qu’il puisse, comme vous, la vouer au bonheur de l’humanité : je me nomme Jean-Paul Marat.
— Merci, monsieur Marat, dit Rousseau ; mais tout en éclairant ce peuple sur ses droits, ne l’excitez pas à la vengeance ; car s’il se venge jamais, vous serez peut-être effrayé vous-même des représailles.
Marat eut un sourire affreux.
— Ah ! si ce jour vient de mon vivant, dit-il, si j’ai le bonheur de voir ce jour…