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— Sire, on n’aurait pas osé, sans un ordre exprès de Votre Majesté…

— Allons donc ! dit le roi, en prenant lui-même une assiette et un couvert sur une étagère. Viens, petite Chon, là, en face de nous.

— Oh ! sire…, dit Chon.

— Oh ! oui, fais la très humble et très obéissante sujette, hypocrite ! Mettez-vous là, comtesse, près de moi, de côté. Quel charmant profil vous avez !

— C’est d’aujourd’hui que vous remarquez cela, monsieur la France ?

— Que voulez-vous ! j’ai pris l’habitude de vous regarder en face, comtesse. Décidément, votre cuisinier est un grand cordon ; quelle bisque !

— J’ai donc eu raison de renvoyer l’autre ?

— Parfaitement raison.

— Alors, sire, suivez mon exemple, vous voyez qu’il n’y a qu’à y gagner.

— Je ne vous comprends pas.

— J’ai renvoyé mon Choiseul, renvoyez le vôtre.

— Pas de politique, comtesse ; donnez-moi de ce madère.

Le roi tendit son verre ; la comtesse prit une carafe à goulot étroit, et servit le roi.

La pression fit blanchir les doigts et rougir les ongles du gracieux échanson.

— Versez longtemps et doucement, comtesse, dit le roi.

— Pour ne pas troubler la liqueur, sire ?

— Non, pour me donner le temps de voir votre main.

— Ah ! décidément, sire, dit la comtesse en riant, Votre Majesté est en train de faire des découvertes.

— Ma foi ! oui, dit le roi, qui reprenait peu à peu sa belle humeur ; et je crois que je suis tout près de découvrir…

— Un monde ? demanda la comtesse.

— Non ! non, dit le roi ; un monde, c’est trop ambitieux, et j’ai déjà bien assez d’un royaume. Mais une île, un petit coin de terre, une montagne enchantée, un palais dont une belle