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— Qui ne m’empêchera pas de perdre mon procès, monseigneur.

— Dame ! je ne peux rien, moi.

— Oh ! monseigneur, monseigneur, dit la comtesse en hochant la tête, comme vont les choses !

— Vous semblez dire, madame, reprit en souriant M. de Maupeou, que de notre vieux temps elles allaient mieux.

— Hélas ! oui, monseigneur, il me semble cela du moins, et je me rappelle avec délices ce temps où, simple avocat du roi au parlement, vous prononciez ces belles harangues, que moi, jeune femme à cette époque, j’allais applaudir avec enthousiasme. Quel feu ! quelle éloquence ! quelle vertu ! Ah ! monsieur le chancelier, dans ce temps-là il n’y avait ni brigues ni faveurs, dans ce temps-là j’eusse gagné mon procès.

— Nous avions bien madame de Phalaris qui essayait de régner dans les moments où le régent fermait les yeux, et la Souris qui se fourrait partout pour essayer de grignoter quelque chose.

— Oh ! monseigneur, madame de Phalaris était si grande dame et la Souris était si bonne fille !

— Qu’on ne pouvait rien leur refuser.

— Ou qu’elles ne savaient rien refuser.

— Ah ! madame la comtesse, dit le chancelier en riant d’un rire qui étonna de plus en plus la vieille plaideuse, tant il avait l’air franc et naturel, ne me faites pas mal parler de mon administration par amour pour ma jeunesse.

— Mais Votre Excellence ne peut cependant m’empêcher de pleurer ma fortune perdue, ma maison à jamais ruinée.

— Voilà ce que c’est de ne pas être de son temps, comtesse, sacrifiez aux idoles du jour, sacrifiez.

— Hélas ! monseigneur, les idoles ne veulent pas de ceux qui viennent les adorer les mains vides.

— Qu’en savez-vous ?

— Moi ?

— Oui, vous n’avez pas essayé, ce me semble ?

— Oh ! monseigneur, vous êtes si bon, que vous me parlez comme un ami.