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Le jeune comte était à l’armée.

On croit ce qu’on désire. Aussi madame de Béarn se laissa-t-elle prendre tout naturellement au récit de la jeune femme.

Il y avait bien cependant quelque ombre de soupçon à concevoir : la comtesse connaissait depuis vingt ans maître Flageot, elle l’avait été visiter deux cents fois dans sa rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, et jamais elle n’avait remarqué sur le tapis quadrilatère qui lui avait paru si exigu pour l’immensité du cabinet, jamais, disons-nous, elle n’avait remarqué sur ce tapis les yeux d’un enfant habile à venir chercher les pastilles dans les boîtes des clients et des clientes.

Mais il s’agissait bien de penser au tapis du procureur, il s’agissait bien de retrouver l’enfant qui pouvait jouer dessus, il s’agissait bien enfin de creuser ses souvenirs : mademoiselle Flageot était mademoiselle Flageot, voilà tout.

De plus, elle était mariée, et enfin, dernier rempart contre toute mauvaise pensée, elle ne venait pas exprès à Verdun, elle allait rejoindre son mari à Strasbourg.

Peut-être madame de Béarn eût-elle dû demander à mademoiselle Flageot la lettre qui l’accréditait auprès d’elle ; mais si un père ne peut pas envoyer sa fille, sa propre fille, sans lettre, à qui donc donnera-t-on une mission de confiance, et puis, encore un coup, à quoi bon de pareilles craintes ? où aboutissaient de pareils soupçons ? dans quel but faire soixante lieues pour débiter un pareil conte ?

Si elle eût été riche, si, comme la femme d’un banquier, d’un fermier général ou d’un partisan, elle eût dû emmener avec elle, équipages, vaisselle et diamants, elle eût pu penser que c’était un complot monté par des voleurs. Mais elle riait bien, madame de Béarn, lorsqu’elle songeait parfois au désappointement qu’éprouveraient des voleurs assez mal avisés pour songer à elle.

Aussi, Chon disparue avec sa toilette de bourgeoise, avec son mauvais petit cabriolet attelé d’un cheval, qu’elle avait pris à l’avant-dernière poste en y laissant sa chaise, madame de Béarn, convaincue que le moment était venu de faire un sacrifice, monta-t-elle à son tour dans un vieux carrosse, et