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sur cette garantie, ou ne lui avancerait la moindre somme sur cette restitution.

C’est pourquoi, réduite au revenu des terres non engagées dans le procès et à leurs redevances, madame la comtesse de Béarn, riche de mille écus de rente à peu près, fuyait la cour, où l’on dépensait douze livres par jour rien qu’à la location du carrosse qui traînait la solliciteuse chez MM. les juges et MM. les avocats.

Elle avait fui surtout parce qu’elle désespérait de tirer avant quatre ou cinq ans son dossier du carton où il attendait son tour. Aujourd’hui les procès sont longs, mais enfin, sans vivre l’âge d’un patriarche, celui qui en entame un peut espérer de le voir finir, tandis qu’autrefois un procès traversait deux ou trois générations, et, comme ces plantes fabuleuses des Mille et une Nuits, ne fleurissait qu’au bout de deux ou trois cents ans.

Or, madame de Béarn ne voulait pas dévorer le reste de son patrimoine à essayer de récupérer les dix douzièmes engagés ; c’était, comme nous l’avons dit, ce que dans tous les temps on appelle une femme du vieux temps, c’est-à-dire sagace, prudente, forte et avare.

Elle eût certainement dirigé elle-même son affaire, assigné, plaidé, exécuté, mieux que procureur, avocat ou huissier quelconque, mais elle avait nom Béarn, et ce nom mettait obstacle à beaucoup de choses. Il eu résultait que, dévorée de regrets et d’angoisses, très semblable au divin Achille retiré sous sa tente, qui souffrait mille morts quand sonnait cette trompette à laquelle il feignait d’être sourd, madame de Béarn passait la journée à déchiffrer de vieux parchemins, ses lunettes sur le nez, et ses nuits à se draper dans sa robe de chambre de Perse, et, ses cheveux gris au vent, à plaider devant son traversin la cause de cette succession revendiquée par les Saluces, cause qu’elle se gagnait toujours avec une éloquence dont elle était si satisfaite, qu’en circonstance pareille, elle la souhaitait à son avocat.

On comprend que, dans ces dispositions, l’arrivée de Chon, se présentant sous le nom de mademoiselle Flageot, causa un doux saisissement à madame de Béarn.