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a plus de puissance, mon esprit plus de volonté : un regard me dompte et me fascine. Tantôt il semble pousser jusqu’au fond de mon cœur des pensées qui ne sont pas miennes, tantôt il semble attirer au dehors de moi des idées si bien cachées jusqu’alors à moi-même, que je ne les avais pas devinées. Oh ! vous voyez bien, Madame, qu’il y a magie.

— C’est étrange, au moins, si ce n’est pas surnaturel, dit la princesse. Mais après cet événement, comment viviez-vous avec cet homme ?

— Il me témoignait une vive tendresse, un sincère attachement.

— C’était un homme corrompu, peut-être ?

— Je ne le crois pas ; au contraire, il y a quelque chose de l’apôtre dans sa manière de parler.

— Allons, vous l’aimez, avouez-le.

— Non, non, Madame, dit la jeune femme avec une douloureuse volonté, non, je ne l’aime pas.

— Alors vous auriez dû fuir, vous auriez dû en appeler aux autorités, vous réclamer de vos parents.

— Madame, il me surveillait tellement que je ne pouvais fuir.

— Que n’écriviez-vous ?

— Nous nous arrêtions partout sur la route dans des maisons qui semblaient lui appartenir, où chacun lui obéissait. Plusieurs fois je demandai du papier, de l’encre et des plumes ; mais ceux à qui je m’adressais étaient renseignés par lui ; jamais aucun ne me répondit.

— Mais en route, comment, voyagiez-vous ?

— D’abord en chaise de poste ; mais à Milan nous trouvâmes non plus une chaise de poste, mais une espèce de maison roulante dans laquelle nous continuâmes notre chemin.

— Mais enfin il était obligé parfois de vous laisser seule ?

— Oui. Alors il s’approchait de moi ; il me disait : « Dormez. » Et je m’endormais, et ne me réveillais qu’à son retour.

Madame Louise secoua la tête d’un air d’incrédulité.

— Vous ne désiriez pas fuir bien énergiquement, dit-elle, sans quoi vous y fussiez parvenue.