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tout lui dire, comme j’eusse dû le faire, je niai tout obstinément.

« Le jour où je devais prendre le voile était venu au milieu d’une étrange lutte, désirant et redoutant l’heure qui me donnerait tout entière à Dieu, et sentant bien que si le démon avait quelque tentative suprême à faire sur moi, ce serait à cette heure solennelle qu’il l’essaierait.

— Et cet homme étrange ne vous avait pas écrit depuis la première lettre que vous trouvâtes dans votre guimpe ? demanda la princesse.

« — Jamais, Madame.

— À cette époque, vous ne lui aviez jamais parlé ?

— Jamais, sinon mentalement.

— Ni écrit ?

— Oh ! jamais.

— Continuez. Vous en étiez au jour où vous prîtes le voile.

— Ce jour-là, comme je le disais à Votre Altesse, je devais enfin voir finir mes tortures, car tout mêlé qu’il était d’une douceur étrange, c’était un supplice inimaginable pour une âme restée chrétienne que l’obsession d’une pensée, d’une forme toujours présente et imprévue, toujours railleuse par l’à-propos qu’elle mettait à m’apparaître juste dans mes moments de lutte contre elle et par son obstination à me dominer alors invinciblement. Aussi, il y avait des moments où j’appelais cette heure sainte de tous mes vœux. Quand je serai à Dieu, me disais-je, Dieu saura bien me défendre, comme il m’a défendue lors de l’attaque des bandits. J’oubliais que, lors de l’attaque des bandits, Dieu ne m’avait défendue que par l’entremise de cet homme.

« Cependant, l’heure de la cérémonie était venue. J’étais descendue à l’église, pâle, inquiète, mais cependant moins agitée que d’habitude ; mon père, ma mère, mon frère, cette voisine de la via Frattina qui m’était venue voir, tous nos autres amis étaient dans l’église, tous les habitants des villages voisins étaient accourus, car le bruit s’était répandu que j’étais belle, et une belle victime, dit-on, est plus agréable au Seigneur. L’office commença.