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« Mes sœurs me regardèrent avec surprise ; elles n’avaient rien compris à mon mouvement, rien compris à mes paroles ; elles suivirent la direction de mes mains, de mes yeux, de ma voix. Elles se haussèrent sur leurs stalles pour regarder à leur tour dans la nef. Je regardai aussi en tremblant. L’étranger avait disparu.

« Elles m’interrogèrent, mais je ne sus que rougir, pâlir et balbutier.

« Depuis ce moment, Madame, s’écria Lorenza avec désespoir, depuis ce moment, je suis au pouvoir du démon !

— Je ne vois rien de surnaturel en tout ceci cependant, ma sœur, répondit la princesse avec un sourire ; calmez-vous donc, et continuez.

« — Oh ! parce que vous ne pouvez pas sentir ce que j’éprouvai, moi.

— Qu’éprouvâtes-vous ?

— La possession tout entière : mon cœur, mon âme, ma raison, le démon possédait tout.

— Ma sœur, j’ai bien peur que ce démon ne fût l’amour, dit madame Louise.

— Oh ! l’amour ne m’eût point fait souffrir ainsi, l’amour n’eût point oppressé mon cœur, l’amour n’eût point secoué tout mon corps comme le vent d’orage fait d’un arbre, l’amour ne m’eût pas donné la mauvaise pensée qui me vint.

— Dites cette mauvaise pensée, mon enfant.

— J’aurais dû tout avouer à mon confesseur, n’est-ce pas, Madame ?

— Sans doute.

— Eh bien ! le démon qui me possédait me souffla tout bas, au contraire, de garder le secret. Pas une religieuse, peut-être, n’était entrée dans le cloître sans laisser dans le monde qu’elle abandonnait un souvenir d’amour. Beaucoup avaient un nom dans le cœur en invoquant le nom de Dieu. Le directeur était habitué à de pareilles confidences. Eh bien ! moi, si pieuse, si timide, si candidement innocente, moi, qui avant ce fatal voyage de Subiaco n’avais jamais échangé une seule parole avec un autre homme que mon frère, moi, qui depuis lors