— Expliquez-vous, voyons. Suis-je donc la première à qui vous parlez de votre malheur ? Vos parents, vos amis ?
— Mes parents ! s’écria la jeune femme en croisant les mains avec douleur, pauvres parents ! les reverrai-je jamais ? Des amis, ajouta-t-elle avec amertume, hélas ! madame, est-ce que j’ai des amis !
— Voyons, procédons par ordre, mon enfant, dit madame Louise essayant de tracer un chemin aux paroles de l’étrangère. Quels sont vos parents, et comment les avez-vous quittés ?
— Madame, je suis Romaine, et j’habitais Rome avec eux. Mon père est de vieille noblesse ; mais, comme tous les patriciens de Rome, il est pauvre. J’ai de plus ma mère et un frère aîné. En France, m’a-t-on dit, lorsqu’une famille aristocratique comme l’est la mienne a un fils et une fille, on sacrifie la dot de la fille pour acheter l’épée du fils. Chez nous, on sacrifie la fille pour pousser le fils dans les ordres. Or, je n’ai, moi, reçu aucune éducation, parce qu’il fallait faire l’éducation de mon frère, qui étudie, comme disait naïvement ma mère, afin de devenir cardinal.
— Après ?
— Il en résulte, madame, que mes parents s’imposèrent tous les sacrifices qu’il était en leur pouvoir de s’imposer pour aider mon frère, et que l’on résolut de me faire prendre le voile chez les carmélites de Subiaco.
— Et vous, que disiez-vous ?
— Rien, madame. Dès ma jeunesse, on m’avait présenté cet avenir comme une nécessité. Je n’avais ni force ni volonté. On ne me consultait pas, d’ailleurs, on ordonnait, et je n’avais pas autre chose à faire que d’obéir.
— Cependant…
— Madame, nous n’avons, nous autres filles romaines, que désir et impuissance. Nous aimons le monde comme les damnés aiment le paradis, sans le connaître. D’ailleurs, j’étais entourée d’exemples qui m’eussent condamnée si l’idée m’était venue de résister, mais elle ne me vint pas. Toutes les amies que j’avais connues et qui, comme moi, avaient des frères,