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— Dans sa chambre ou à l’église.

— Qu’a-t-elle fait depuis hier ?

— Depuis hier, elle a refusé toute nourriture, excepté le pain, et toute la nuit elle a prié dans la chapelle.

— Quelque grande coupable, sans doute ! dit la supérieure, fronçant le sourcil.

— Je l’ignore, Madame, elle n’a parlé à personne.

— Quelle femme est-ce ?

— Belle et d’une physionomie douce et fière à la fois.

— Ce matin, pendant la cérémonie, où se tenait-elle ?

— Dans sa chambre, près de sa fenêtre, où je l’ai vue, abritée derrière ses rideaux, fixer sur chaque personne un regard plein d’anxiété, comme si dans chaque personne qui entrait elle eût craint un ennemi.

— Quelque femme de ce pauvre monde où j’ai vécu, où j’ai régné. Faites entrer.

La trésorière fit un pas pour se retirer.

— Ah ! sait-on son nom ? demanda la princesse.

— Lorenza Feliciani.

— Je ne connais personne de ce nom, dit madame Louise rêvant ; n’importe, introduisez cette femme.

La supérieure s’assit dans un fauteuil séculaire ; il était de bois de chêne, avait été sculpté sous Henri II, et avait servi aux neuf dernières abbesses des Carmélites.

C’était un tribunal redoutable, devant lequel avaient tremblé bien des pauvres novices, prises entre le spirituel et le temporel.

La trésorière entra un moment après, amenant l’étrangère au long voile que nous connaissons déjà.

Madame Louise avait l’œil perçant de la famille ; cet œil fut fixé sur Lorenza Feliciani, du moment où elle entra dans le cabinet : mais elle reconnut dans la jeune femme tant d’humilité, tant de grâce, tant de beauté sublime ; elle vit enfin tant d’innocence dans ses grands yeux noirs noyés de larmes encore récentes, que ses dispositions envers elle, d’hostiles qu’elles étaient d’abord, devinrent bienveillantes et fraternelles.