de mademoiselle de Taverney, est-ce que je vous ai jamais volé ?
— Que fais-tu alors avec tes mains de fainéant ?
— Ce que fait un homme de génie auquel je veux ressembler, ne fût-ce que par ma persévérance, répondit Gilbert. Je copie de la musique.
Andrée tourna la tête de son côté.
— Vous copiez de la musique ? dit-elle.
— Oui, mademoiselle.
— Vous la savez donc ? ajouta-t-elle dédaigneusement et du même ton qu’elle eût dit : « Vous mentez. »
— Je connais mes notes, et c’est assez pour être copiste, répondit Gilbert.
— Et où diable les as-tu apprises tes notes, drôle ?
— Oui, fit en souriant Andrée.
— Monsieur le baron, j’aime profondément la musique, et comme tous les jours mademoiselle passait une heure ou deux à son clavecin, je me cachais pour écouter.
— Fainéant !
— J’ai d’abord retenu les airs ; puis, comme ces airs étaient écrits dans une méthode, j’ai peu à peu, et à force de travail, appris à lire dans cette méthode.
— Dans ma méthode ! fit Andrée au comble de l’indignation, vous osiez toucher à ma méthode ?
— Non, mademoiselle, jamais je ne me fusse permis cela, dit Gilbert ; mais elle restait ouverte sur votre clavecin, tantôt à une place, tantôt à une autre. Je n’y touchais pas ; j’essayais de lire, voilà tout : mes yeux ne pouvaient en salir les pages.
— Vous allez voir, dit le baron, que ce coquin-là va nous annoncer tout à l’heure qu’il joue du piano comme Haydn.
— J’en saurais jouer probablement, dit Gilbert, si j’avais osé poser mes doigts sur les touches.
Et Andrée, malgré elle, jeta un second regard sur ce visage animé par un sentiment dont rien ne peut donner l’idée, si ce n’est le fanatisme avide du martyre.
Mais le baron, qui n’avait point dans l’esprit la calme et intelligente