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— Excusez-moi, dit-il, je suis de province.

— Et vous êtes venu faire votre éducation à Paris, mon petit bonhomme ?

— Oui, monsieur, répondit Gilbert dévorant sa rage.

— Eh bien, puisque vous êtes en train de vous instruire, dit le sergent en arrêtant la main de Gilbert qui s’apprêtait à remettre son chapeau sur sa tête, apprenez encore ceci : c’est qu’on salue madame la dauphine comme le roi, messeigneurs les princes comme madame la dauphine ; c’est qu’on salue, enfin, toutes les voitures où il y a des fleurs de lis. Connaissez-vous les fleurs de lis, mon petit, ou faut-il vous les faire connaître ?

— Inutile, monsieur, dit Gilbert ; je les connais.

— C’est bien heureux, grommela le sergent.

Les voitures royales passèrent.

La file se prolongeait ; Gilbert regardait avec des yeux tellement avides, qu’ils en semblaient hébétés. Successivement, en arrivant en face de la porte de l’abbaye, les voitures s’arrêtaient, les seigneurs de la suite en descendaient, opération qui, de cinq minutes en cinq minutes, occasionnait un mouvement de halte sur toute la ligne.

À l’une de ces haltes, Gilbert sentit comme un feu brûlant qui lui eût traversé le cœur. Il eut un éblouissement, pendant lequel toutes choses s’effacèrent à ses yeux, et un tremblement si violent s’empara de lui, qu’il fut forcé de se cramponner à sa branche pour ne pas tomber.

C’est qu’en face de lui, à dix pas au plus, dans l’une de ces voitures à fleurs de lis que le sergent lui avait recommandé de saluer, il venait d’apercevoir la resplendissante, la lumineuse figure d’Andrée, vêtue toute de blanc, comme un ange ou comme un fantôme.

Il poussa un faible cri, puis, triomphant de toutes ces émotions qui s’étaient emparées de lui à la fois, il commanda à son cœur de cesser de battre, à son regard de se fixer sur le soleil.

Et la puissance du jeune homme sur lui-même était si grande qu’il y réussit.