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Cependant, sa philosophie, ou plutôt cet orgueil dont Rousseau l’avait tant engagé de se défier, lui souffla tout bas :

— C’est bon pour des femmes d’avoir besoin de quelqu’un ; mais moi, un homme ! n’ai-je pas des bras et des épaules ?

— Tous ceux qui ne seront pas là, continua la mère, comme si elle eût deviné la pensée de Gilbert et qu’elle y répondît ; tous ceux qui ne seront pas là ne verront rien que les carrosses vides, et, ma foi ! les carrosses vides, on peut les voir quand on veut ; ce n’est point la peine de venir à Saint-Denis pour cela.

— Mais, madame, dit Gilbert, beaucoup de gens, ce me semble, auront la même idée que vous.

— Oui, mais tous n’auront pas un neveu aux gardes pour les faire passer.

— Ah ! c’est vrai, dit Gilbert.

Et en prononçant ce c’est vrai, sa figure exprima un désappointement que remarqua bien vite la perspicacité parisienne.

— Mais, dit le bourgeois, habile à deviner tout ce que désirait sa femme, monsieur peut bien venir avec nous, s’il lui plaît.

— Oh ! monsieur, dit Gilbert, je craindrais de vous gêner.

— Bah ! au contraire, dit la femme, vous nous aiderez à parvenir jusque-là. Nous n’avions qu’un homme pour nous soutenir, nous en aurons deux.

Aucun argument ne valait celui-là pour déterminer Gilbert. L’idée qu’il serait utile et paierait ainsi, par cette utilité, l’appui qu’on lui offrait, mettait sa conscience à couvert et lui ôtait d’avance tout scrupule.

Il accepta.

— Nous verrons un peu à qui il offrira son bras, dit la tante.

Ce secours tombait, pour Gilbert, bien véritablement du ciel. En effet, comment franchir cet insurmontable obstacle d’un rempart de trente mille personnes, toutes plus recommandables que lui par le rang, les richesses, la force, et surtout l’habitude de se placer dans ces fêtes, où chacun prend la place la plus large qu’il peut se faire.