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On avait apporté avec soi le plus possible, et on en tirait le meilleur parti possible.

Le père découpait un de ces appétissants morceaux de veau rôti, si cher aux petits bourgeois de Paris. Le comestible, déjà dévoré par les yeux de tous, reposait doré, friand et onctueux dans le plat de terre vernissé où l’avait enseveli la veille, parmi des carottes, des oignons et des tranches de lard, la ménagère soucieuse du lendemain. Puis, la servante avait porté le plat chez le boulanger qui, tout en cuisant son pain, avait donné asile dans son four à vingt plats pareils, tous destinés à rôtir et à se dorer de compagnie à la chaleur posthume des fagots.

Gilbert choisit au pied d’un orme voisin une petite place dont il épousseta l’herbe souillée, avec son mouchoir à carreaux.

Il ôta son chapeau, posa son mouchoir sur cette herbe et s’assit.

Il ne donnait aucune attention à ses voisins ; ce que voyant ceux-ci, ils le remarquèrent tout naturellement.

— Voilà un jeune homme soigneux, dit la mère.

La jeune fille rougit.

La jeune fille rougissait foutes les fois qu’il était question d’un jeune homme devant elle. Ce qui faisait pâmer de satisfaction les auteurs de ses jours.

— Voilà un jeune homme soigneux, avait dit la mère.

En effet, chez la bourgeoise parisienne, la première observation portera toujours sur un défaut ou sur une qualité morale.

Le père se retourna.

— Et un joli garçon, dit-il.

La rougeur de la jeune fille augmenta.

— Il paraît bien fatigué, dit la servante ; il n’a pourtant rien porté.

— Paresseux, dit la tante.

— Monsieur, dit la mère, s’adressant à Gilbert avec cette familiarité d’interrogation qu’on ne trouve que chez les Parisiens ; est-ce que les carrosses du roi sont encore loin ?