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On ne les voyait pas encore ; seulement, on voyait sur la route, à un quart de lieue au delà de Saint-Denis, une grande poussière. C’était ce que voulait savoir Gilbert ; les carrosses n’étaient pas encore arrivés, il ne s’agissait plus que de savoir de quel côté précisément les carrosses arriveraient.

À Paris, quand on traverse toute une foule sans lier conversation avec quelqu’un, c’est qu’on est Anglais ou sourd et muet.

À peine se fût-il jeté en arrière pour se dégager de toute cette multitude, qu’il trouva, au revers d’un fossé, une famille de petits bourgeois qui déjeunaient.

Il y avait la fille, grande personne blonde, aux yeux bleus, modeste et timide.

Il y avait la mère, grosse, petite et rieuse femme, aux dents blanches, et au teint frais.

Il y avait le père enfoui dans un grand habit de bouracan qui ne sortait de l’armoire que tous les dimanches, qu’il avait tiré de l’armoire pour cette occasion solennelle, et dont il se préoccupait plus que de sa femme et de sa fille, certain qu’elles se tireraient toujours d’affaire.

Il y avait une tante, grande, maigre, sèche et quinteuse.

Il y avait une servante qui riait toujours.

Cette dernière avait apporté, dans un énorme panier, un déjeuner complet. Sous ce poids, la vigoureuse fille n’avait pas cessé de rire et de chanter, encouragée par son maître, qui la relayait au besoin. Alors, un serviteur était de la famille : il y avait une grande analogie entre lui et le chien de la maison : battu, quelquefois ; exclu, jamais.

Gilbert contempla du coin de l’œil cette scène, complétement nouvelle pour lui. Enfermé au château de Taverney depuis sa naissance, il savait ce que c’était que le seigneur et que la valetaille, mais il ignorait entièrement le bourgeois.

Il vit chez ces braves gens, dans l’usage matériel des besoins de la vie, l’emploi d’une philosophie qui, sans procéder de Platon ni de Socrate, participait un peu de Bias, in extenso.