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— Pour quoi faire ? dit Rousseau, pour fainéantiser ?

— Monsieur, dit Gilbert, je voudrais aller à Saint-Denis.

— À Saint-Denis ?

— Oui ; madame la dauphine arrive demain à Saint-Denis.

— Ah ! c’est vrai ; demain il y a des fêtes à Saint-Denis pour la réception de madame la dauphine.

— C’est cela, dit Gilbert.

— Je vous aurai cru moins badaud, mon jeune ami, dit Rousseau, et vous m’avez fait d’abord l’effet de bien autrement mépriser les pompes du pouvoir absolu.

— Monsieur…

— Regardez-moi, moi que vous prétendez quelquefois prendre pour modèle. Hier, un prince royal est venu me solliciter d’aller à la cour, non pas comme vous irez, pauvre enfant, en vous hissant sur la pointe des pieds pour regarder, par-dessus l’épaule d’un garde-française, passer la voiture du roi, à laquelle on portera les armes comme on fait pour le Saint-Sacrement, mais pour paraître devant les princes, pour voir le sourire des princesses. Eh bien ! moi, obscur citoyen, j’ai refusé l’invitation de ces grands.

Gilbert approuva de la tête.

— Et pourquoi ai-je refusé cela ? continua Rousseau avec véhémence, parce que l’homme ne peut pas être double, parce que la main qui a écrit que la royauté était un abus, ne peut pas aller demander à un roi l’aumône d’une faveur ; parce que moi qui sait que toute fête enlève au peuple un peu de ce bien-être dont il lui reste à peine pour ne pas se révolter, je proteste par mon absence contre toutes ces fêtes.

— Monsieur, dit Gilbert, je vous prie de croire que j’ai compris ce qu’il y a de sublime dans votre philosophie.

— Sans doute ; cependant, puisque vous ne la pratiquez pas, permettez-moi de vous dire…

— Monsieur, dit Gilbert, je ne suis pas philosophe.

— Dites au moins ce que vous allez faire à Saint-Denis.

— Monsieur, je suis discret.

Le mot frappa Rousseau : il comprit qu’il y avait quelque mystère, et il regarda le jeune