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si je sentais en moi une étincelle du feu qui a brûlé son cœur en échauffant son génie…

— Eh bien ?

— Eh bien ! je me dirais qu’il n’y a pas de femme, si grande dame qu’elle soit par la naissance, qui puisse compter avec moi, tandis que, n’étant rien, n’ayant point la conviction de mon avenir, quand je regarde au-dessus de moi, je suis ébloui. Oh ! je voudrais pouvoir parler à Rousseau !

— Pour quoi faire ?

— Pour lui demander si, madame de Warens n’étant pas descendue à lui, il n’eût pas monté à elle ; pour lui dire : « Cette possession qui vous a attristé, si elle vous eût été refusée, ne l’eussiez-vous pas conquise, même… ? »

Le jeune homme s’arrêta.

— Même… ? répéta le vieillard.

— Même par un crime !

Jacques tressaillit.

— Ma femme doit être réveillée, dit-il, coupant court à l’entretien ; nous allons descendre. D’ailleurs, la journée d’un travailleur ne commence jamais assez tôt : venez, jeune homme, venez.

— C’est vrai, dit Gilbert ; pardon, monsieur ; mais il y a certaines conversations qui m’enivrent, certains livres qui m’exaltent, certaines pensées qui me rendent presque fou.

— Allons, allons, vous êtes amoureux, dit le vieillard.

Gilbert ne répondit rien, et se mit à ramasser les haricots et à reformer les sacs à l’aide des épingles ; Jacques le laissa faire.

— Vous n’avez pas été somptueusement logé, lui dit-il, mais au bout du compte vous avez ici le nécessaire, et si vous eussiez été plus matinal, il vous fût arrivé par cette fenêtre des émanations de verdure qui ont bien leur mérite au milieu des odeurs nauséabondes qui infectent la grande ville. Il y a là les jardins de la rue de La Jussienne, les tilleuls et les faux ébéniers y sont en fleurs, et les respirer le matin, n’est-ce pas, pour un pauvre captif, amasser du bonheur pour toute une journée ?