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— Et pourquoi avez-vous veillé ? fit Jacques, soupçonneux.

— Pour lire.

Le regard de Jacques parcourut, plus défiant encore, le grenier encombré.

— Cette première feuille, dit Gilbert en montrant le premier sac qu’il avait décroché et lu, cette première feuille, sur laquelle j’ai jeté les yeux par hasard, m’a tellement intéressé… Mais vous, monsieur, qui savez tant de choses, vous devez savoir de quel livre elle vient ?

Jacques y jeta négligemment les yeux et dit :

— Je ne sais.

— C’est un roman sans doute, fit Gilbert, un bien beau roman.

— Un roman, croyez-vous ?

— Je le crois, car on y parle d’amour comme dans les romans, excepté qu’on en parle mieux.

— Cependant, reprit Jacques, comme je lis au bas de cette page le mot Confessions, je croyais…

— Vous croyiez ?

— Que ce pouvait être une histoire.

— Oh ! non, non ; l’homme qui parle ainsi ne parle pas de lui-même. Il y a trop de franchise dans ses aveux, trop d’impartialité dans son jugement.

— Et moi, je crois que vous vous trompez, dit vivement le vieillard. L’auteur, au contraire, a voulu donner cet exemple au monde, d’un homme se montrant à ses semblables tel que Dieu a fait l’homme.

— Connaissez-vous donc l’auteur ?

— L’auteur est Jean-Jacques Rousseau.

— Rousseau ! s’écria vivement le jeune homme.

— Oui. Il y a ici quelques feuilles de son dernier livre détachées, égarées.

— Ainsi ce jeune homme, pauvre, inconnu, obscur, mendiant presque par les grands chemins qu’il parcourait à pied, c’était Rousseau, c’est-à-dire l’homme qui devait un jour faire l’Émile et écrire le Contrat social ?

— C’était lui, ou plutôt non, dit le vieillard avec une expression