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Gilbert rêvait au bonheur de passer ainsi toute une nuit à lire, et le plaisir s’augmentait de cette sécurité qu’il avait une longue file de sacs à dépouiller les uns après les autres, quand tout à coup un léger pétillement se fit entendre ; la chandelle, échauffée par le récipient de cuivre, s’enfonça dans la graisse liquide ; une vapeur infecte monta dans le grenier, la mèche s’éteignit, et Gilbert se trouva dans l’obscurité.

Cet événement était arrivé si rapide qu’il n’y avait pas eu moyen d’y porter remède. Gilbert, interrompu au milieu de sa lecture, était près d’en pleurer de rage. Il laissa glisser la liasse de papiers sur les haricots amassés près de son lit, et se coucha sur sa paillasse, où, malgré son dépit, il s’endormit bientôt profondément.

Le jeune homme dormit comme on dort à dix-huit ans ; aussi ne se réveilla-t-il qu’au bruit du cadenas criard que Jacques avait placé la veille à la porte du grenier.

Le jour était grand ; Gilbert, en ouvrant les yeux, vit son hôte entrer doucement dans sa chambre.

Ses yeux se portèrent aussitôt sur les haricots épars et sur les sacs redevenus feuillets.

Les yeux de Jacques avaient déjà pris la même direction.

Gilbert sentit le rouge de la honte lui monter aux joues, et sans trop savoir ce qu’il disait :

— Bonjour, monsieur, murmura-t-il.

— Bonjour, mon ami, dit Jacques ; avez-vous bien dormi ?

— Oui, monsieur.

— Seriez-vous somnambule, par hasard ?

Gilbert ignorait ce qu’était un somnambule, mais il comprit que la question avait pour but de lui demander une explication sur ces haricots hors de leurs sacs, et sur ces sacs veufs de leurs haricots.

— Hélas ! monsieur, dit-il, je vois bien pourquoi vous me dites cela ; oui, c’est moi qui suis coupable du méfait, et je m’accuse humblement, mais je le crois réparable.

— Sans doute. Mais pourquoi donc votre chandelle est-elle usée jusqu’au bout ?

— J’ai veillé trop tard.