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plus mignonne, des rubans, de la dentelle, des cheveux mieux ajustés. Je préférais toujours la moins jolie ayant tout cela. Je trouve moi-même cette préférence fort ridicule, mais mon cœur la donne malgré moi. » [1]

Gilbert tressaillit et la sueur lui monta au front ; il était impossible de mieux exprimer sa pensée, de mieux définir ses instincts, de mieux analyser son goût. Seulement, Andrée n’était pas la moins jolie ayant tout cela. Andrée avait tout cela et était la plus belle.

Gilbert continua donc avidement.

À la suite des lignes que nous avons citées, venait une charmante aventure d’un jeune homme avec deux jeunes filles ; l’histoire d’une cavalcade accompagnée de ces petits cris charmants qui rendent les femmes plus charmantes encore, parce qu’ils trahissent leur faiblesse ; d’un voyage en croupe derrière l’une d’elles, et d’un retour nocturne plus charmant et plus délicieux encore.

L’intérêt allait gagnant ; Gilbert avait déplié le sac et avait lu tout ce qu’il y avait d’imprimé sur le sac avec un certain battement de cœur ; il interrogea la pagination et se mit à chercher si les autres pages n’y faisaient pas suite. La pagination était interrompue, mais il retrouva sept ou huit sacs qui paraissaient se suivre. Il en ôta les épingles, vida les haricots sur le plancher, les assembla et lut.

Cette fois, c’était bien autre chose encore. Ces nouvelles pages contenaient les amours d’un jeune homme pauvre, inconnu, avec une grande dame. La grande dame était descendue jusqu’à lui, ou plutôt il était monté jusqu’à elle, et la grande dame l’avait accueilli comme s’il eut été son égal, et elle en avait fait son amant, l’initiant à tous les mystères du cœur, rêves de l’adolescence qui ont une si courte réalité, qu’arrivés de l’autre côté de la vie ils ne nous apparaissent plus que comme un de ces météores brillants, mais fugitifs, qui glissent au milieu d’un ciel étoilé de printemps.

Le jeune homme n’était nommé nulle part. La grande dame s’appelait madame de Warens, nom doux et charmant à prononcer.

  1. « Les Confessions », Livre IV.