Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 2.djvu/197

Cette page n’a pas encore été corrigée

car je ne crois pas que vous veuillez me flatter pour un morceau de pain et quelques cerises ?

— Vous avez raison. Je ne flatterais pas pour l’empire du monde ; mais écoutez, vous êtes le premier qui m’avez parlé sans morgue, avec bonté, comme on parle à un jeune homme et non comme on parle à un enfant. Quoique nous ayons été en désaccord sur Rousseau, il y a derrière la mansuétude de votre esprit quelque chose d’élevé qui attire le mien. Il me semble, quand je cause avec vous, que je suis dans un riche salon dont les volets sont fermés, et dont, malgré l’obscurité, je devine la richesse. Il ne tiendrait qu’à vous de laisser glisser dans votre conversation un rayon de lumière et alors je serais ébloui.

— Mais vous-même, vous parlez avec une certaine recherche qui pourrait faire croire à une meilleure éducation que celle que vous avouez ?

— C’est la première fois, monsieur, et je m’étonne moi-même des termes dans lesquels je parle ; il y en a dont je connaissais à peine la signification, et dont je me sers pour les avoir entendu dire une fois. Je les avais rencontrés dans les livres que j’avais lus, mais je ne les avais pas compris.

— Vous avez beaucoup lu ?

— Trop ; mais je relirai.

Le vieillard regarda Gilbert avec étonnement.

— Oui, j’ai lu tout ce qui m’est tombé sous la main, ou plutôt, bons et mauvais livres, j’ai tout dévoré. Oh ! si j’avais eu quelqu’un pour me guider dans mes lectures, pour me dire ce que je devais oublier et ce dont je devais me souvenir !… Mais pardon, monsieur, j’oublie que si votre conversation m’est précieuse, il ne doit pas en être ainsi de la mienne : vous herborisiez, et je vous gêne, peut-être ?

Gilbert fit un mouvement pour se retirer, mais avec le vif désir d’être retenu. Le vieillard, dont les petits yeux gris étaient fixés sur lui, semblait lire jusqu’au fond de son cœur.

— Non pas, lui dit-il, ma boîte est presque pleine, et je n’ai plus besoin que de quelques mousses ; on m’a dit qu’il poussait de beaux capillaires dans ce canton.