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— Et moi, dit Gilbert un peu radouci, moi qui vous ai répondu que je n’avais point de maître, j’aurais pu ajouter qu’il ne tenait qu’à moi d’en avoir un fort illustre, et que je venais de refuser une condition que beaucoup d’autres eussent enviée.

— Une condition ?

— Oui. Il s’agissait de servir à l’amusement de grands seigneurs désœuvrés ; mais j’ai pensé qu’étant jeune, pouvant étudier et faire mon chemin, je ne devais pas perdre ce temps précieux de la jeunesse et compromettre en ma personne la dignité de l’homme.

— C’est bien, dit gravement l’étranger ; mais pour faire votre chemin, avez-vous un plan arrêté ?

— Monsieur, j’ai l’ambition d’être médecin.

— Belle et noble carrière, dans laquelle on peut choisir entre la vraie science, modeste et martyre, et le charlatanisme effronté, doré, obèse. Si vous aimez la vérité, jeune homme, devenez médecin ; si vous aimez l’éclat, faites-vous médecin.

— Mais il faut beaucoup d’argent pour étudier, n’est-ce pas, monsieur ?

— Il en faut certainement ; mais beaucoup, c’est trop dire.

— Le fait est, reprit Gilbert, que Jean-Jacques Rousseau, qui sait tout, a étudié pour rien.

— Pour rien !… Oh ! jeune homme, dit le vieillard avec un triste sourire, vous appelez rien ce que Dieu a donné de plus précieux aux hommes : la candeur, la santé, le sommeil ; voilà ce qu’a coûté au philosophe genevois le peu qu’il est parvenu à apprendre.

— Le peu ! fit Gilbert presque indigné.

— Sans doute ; interrogez sur lui, et écoutez ce que l’on vous en dira.

— D’abord, c’est un grand musicien.

— Oh ! parce que le roi Louis XV a chanté avec passion : « J’ai perdu mon serviteur », cela ne veut pas dire que le Devin du village soit un bon opéra.

— C’est un grand botaniste. Voyez ses lettres dont je n’ai jamais pu me procurer que quelques pages dépareillées ; vous