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— Ne point haïr les gens qui nous maltraitent ! s’écria Gilbert, je ne comprends point cela.

— Rousseau a toujours été libre, monsieur ; Rousseau a toujours été assez fort pour ne s’appuyer que sur lui seul, et c’est la force et la liberté qui font les hommes doux et bons ; seuls l’esclavage et la faiblesse font les méchants.

— Voilà pourquoi j’ai voulu demeurer libre, monsieur, dit fièrement Gilbert ; je devinais ce que vous venez de m’expliquer.

— On est libre même en prison, mon ami, dit l’étranger ; demain Rousseau serait à la Bastille, ce qui arrivera un jour ou l’autre, qu’il écrirait ou penserait tout aussi librement que dans les montagnes de la Suisse. Je n’ai jamais cru, quant à moi, que la liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut, mais bien qu’à ce qu’aucune puissance humaine ne lui fît faire ce qu’il ne veut pas.

— Rousseau a-t-il donc écrit ce que vous dites là, monsieur ?

— Je le crois, dit l’étranger.

— Ce n’est point dans le Contrat social ?

— Non, c’est dans une publication nouvelle, qu’on appelle les Rêveries du promeneur solitaire.

— Monsieur, dit Gilbert, je crois que nous nous rencontrerons sur un point.

— Sur lequel ?

— C’est que tous deux nous aimons et admirons Rousseau.

— Parlez pour vous, jeune homme, vous êtes dans l’âge des illusions.

— On peut se tromper sur les choses, mais non pas sur les hommes.

— Hélas ! vous le verrez plus tard, c’est sur les hommes surtout qu’on se trompe. Rousseau est peut-être un peu plus juste que les autres hommes ; mais, croyez-moi, il a ses défauts, et de fort grands.

Gilbert secoua la tête d’un air qui marquait peu de conviction ; mais, malgré cette invincible démonstration, l’étranger continua de le traiter avec la même faveur.

— Revenons à notre point de départ, fit l’étranger. Je disais que vous aviez quitté votre maître à Versailles.