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— Merci, monsieur, dit Gilbert en repoussant doucement le mouchoir, merci, rien que du pain, c’est assez.

Et il rompit en deux le morceau, dont il prit la moitié et rendit l’autre ; puis il s’assit sur l’herbe à trois pas du vieillard, qui le regardait avec un étonnement croissant.

Le repas dura peu de temps. Il y avait peu de pain, et Gilbert avait grand appétit. Le vieillard ne le troubla par aucune parole ; il continua son muet examen, mais furtivement, et en donnant, en apparence du moins, la plus grande attention aux plantes et aux fleurs de sa boîte, qui, se redressant comme pour respirer, relevaient leur tête odorante au niveau du couvercle de fer-blanc.

Cependant, voyant Gilbert s’approcher de la mare, il s’écria vivement :

— Ne buvez pas de cette eau, jeune homme ; elle est infectée par le détritus des plantes mortes l’an dernier, et par les œufs de grenouille qui nagent à sa superficie. Prenez plutôt quelques cerises, elle vous rafraîchiront aussi bien que de l’eau. Prenez, je vous y invite, car vous n’êtes point, je le vois, un convive importun.

— C’est vrai, monsieur, l’importunité est tout l’opposé de ma nature, et je ne crains rien tant que d’être importun. Je viens de le prouver tout à l’heure encore à Versailles.

— Ah ! vous venez de Versailles ? dit l’étranger en regardant Gilbert.

— Oui, monsieur, répondit le jeune homme.

— C’est une ville riche ; il faut être bien pauvre ou bien fier pour y mourir de faim.

— Je suis l’un et l’autre, monsieur.

— Vous avez eu querelle avec votre maître ? demanda timidement l’étranger, qui poursuivait Gilbert de son regard interrogateur, tout en rangeant ses plantes dans sa boîte.

— Je n’ai pas de maître, monsieur.

— Mon ami, dit l’étranger en se couvrant la tête, voici une réponse trop ambitieuse.

— Elle est exacte, cependant.

— Non, jeune homme, car chacun a son maître ici-bas, et