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que, cette fois, il ne voyait à sa portée que son chapeau, déjà fort maltraité par la route et achevé par l’humidité du matin.

Ce n’était donc pas un rêve qu’il avait fait, comme il l’avait cru d’abord en se réveillant. Versailles et Luciennes étaient une réalité depuis son entrée triomphale dans l’une jusqu’à sa sortie effarouchée de l’autre.

Puis, ce qui le ramena de plus en plus à la réalité, ce fut une faim de plus en plus croissante, et, par conséquent, de plus en plus aiguë.

Machinalement alors il chercha autour de lui ces mûres savoureuses, ces prunelles sauvages, ces croquantes racines de ses forêts, dont le goût, pour être plus âpre que celui de la rave, n’en est pas moins agréable aux bûcherons, qui vont le matin chercher, leurs outils sur l’épaule, le canton du défrichement.

Mais outre que ce n’était point la saison encore, Gilbert ne reconnut autour de lui que des frênes, des ormes, des châtaigniers, et ces éternelles glandées qui se plaisent dans les sables.

— Allons, allons, se dit Gilbert à lui-même, j’irai droit à Paris. Je puis en être encore à trois ou quatre lieues, à cinq tout au plus, c’est une route de deux heures. Qu’importe que l’on souffre deux heures de plus quand on est sûr de ne plus souffrir après ! À Paris, tout le monde a du pain ; et en voyant un jeune homme honnête et laborieux, le premier artisan que je rencontrerai ne me refusera point du pain pour du travail.

En un jour, à Paris, on trouvera le repas du lendemain ; que me faut-il de plus ? Rien, pourvu que chaque lendemain me grandisse, m’élève et me rapproche… du but que je veux atteindre.

Gilbert doubla le pas ; il voulait regagner la grande route, mais il avait perdu tout moyen de s’orienter. À Taverney et dans tous les bois environnants, il connaissait l’orient et l’occident ; chaque rayon de soleil lui était un indice d’heure et de chemin. La nuit, chaque étoile, tout inconnue qu’elle lui fût sous son nom de Vénus, de Saturne ou de Lucifer, lui était un guide. Mais dans ce monde nouveau, il ne connaissait pas plus