Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 2.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ma fille ! mon enfant, dit le roi, tes craintes te font cet avenir pire qu’il n’est.

— Sire, sire, dit madame Louise, rappelez-vous cette princesse antique, cette prophétesse royale ; elle prédisait comme moi à son père et à ses frères la guerre, la destruction, l’incendie ; et son père et ses frères riaient de ses prédictions qu’ils disaient insensées. Ne me traitez pas comme elle. Prenez garde, ô mon père, réfléchissez ! ô mon roi !

Louis XV croisa ses bras et laissa tomber sa tête sur sa poitrine.

— Ma fille, dit-il, vous me parlez sévèrement ; ces malheurs que vous me reprochez sont-ils donc mon ouvrage ?

— À Dieu ne plaise que je le pense ! mais ils sont ceux du temps où nous vivons. Vous êtes entraîné, comme nous tous. Écoutez, sire, comme on applaudit dans les parterres à la moindre allusion contre la royauté ; voyez, le soir, les groupes joyeux descendre à grand fracas les petits escaliers des entresols, quand le grand escalier de marbre est sombre et désert. Sire, le peuple et les courtisans se sont fait des plaisirs à part de nos plaisirs ; ils s’amusent sans nous, ou plutôt, quand nous paraissons où ils s’amusent, nous les attristons. Hélas ! continua la princesse avec une adorable mélancolie, hélas ! pauvres beaux jeunes gens ! pauvres charmantes femmes ! aimez ! chantez ! oubliez ! soyez heureux ! Je vous gênais ici, tandis que, là-bas, je vous servirai. Ici, vous étouffez vos rires joyeux de peur de me déplaire ; là-bas, là-bas, je prierai, oh ! je prierai de tout mon cœur, pour le roi, pour mes sœurs, pour mes neveux, pour le peuple de France, pour vous tous, enfin, que j’aime avec l’énergie d’un cœur que nulle passion n’a encore fatigué.

— Ma fille, dit le roi après un sombre silence, je vous en supplie, ne me quittez pas, en ce moment du moins ; vous venez de briser mon cœur.

Louise de France saisit la main de son père, et attachant avec amour ses yeux sur la noble physionomie de Louis XV :

— Non, dit-elle, non, mon père ; pas une heure de plus dans ce palais. Non, il est temps que je prie. Je me sens la force de