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— La recette ! Vous avez appris la recette d’un plat à Nicole Legay, à votre femme de chambre ! Votre femme de chambre fait la cuisine ! Il ne manquerait plus qu’une chose, c’est que vous la fissiez vous-même. Est-ce que la duchesse de Châteauroux ou la marquise de Pompadour faisaient la cuisine au roi ? C’était, au contraire, le roi qui leur faisait les omelettes… Jour de Dieu ! que je voie les femmes faire la cuisine chez moi !… Baron, excusez ma fille, je vous en supplie.

— Mais, mon père, il faut bien qu’on mange, dit tranquillement Andrée.

— Voyons, Legay, ajouta-t-elle d’une voix plus haute, est-ce fait ?

— Oui, mademoiselle, répondit la jeune fille, qui apportait un plat de la plus appétissante odeur.

— Je sais bien qui ne mangera pas de ce plat-là, dit Taverney furieux en brisant son assiette.

— Monsieur en mangera peut-être, dit froidement Andrée.

Puis se tournant vers son père :

— Vous savez, monsieur, que vous n’avez plus que dix-sept assiettes de ce service, qui me vient de ma mère.

Cela dit, elle trancha le gâteau fumant que Nicole Legay, la jolie chambrière, venait de poser sur la table.


VI

ANDRÉE DE TAVERNEY.


L’esprit d’observation de Joseph Balsamo trouvait une ample pâture dans chaque détail de cette existence étrange et isolée, perdue dans un coin de la Lorraine.

La salière seule lui révélait toute une face du caractère du baron de Taverney, ou plutôt son caractère sous toutes ses faces.