nature, mélange de bon et de mauvais, de vergogne et de hardiesse, l’intéressait malgré lui.
— Et pourquoi avez-vous lu ces livres, puisque vous saviez qu’ils étaient mauvais ? continua celui que le vieux savant avait désigné sous le nom d’Acharat.
— Parce qu’en les ouvrant j’ignorais leur valeur.
— Vous l’avez cependant facilement jugée.
— Oui, Monsieur.
— Et vous avez continué de les lire, néanmoins ?
— J’ai continué.
— Dans quel but ?
— Ils m’apprenaient des choses que je ne savais pas.
— Et le Contrat social ?
— Il m’apprend des choses que j’avais devinées.
― Lesquelles ?
― C’est que tous les hommes sont frères, c’est que les sociétés sont mal organisées, qui ont des serfs ou des esclaves ! c’est qu’un jour tous les individus seront égaux.
— Ah ! ah ! fit le voyageur.
Il y eut un instant de silence pendant lequel Gilbert et son compagnon continuèrent de marcher, le voyageur tirant le cheval par la bride, Gilbert tenant la lanterne à sa main.
— Vous avez donc bien envie d’apprendre, mon ami ? dit tout bas le voyageur.
— Oui, monsieur, c’est mon plus grand désir.
— Et que voudriez-vous apprendre, voyons ?
— Tout, dit le jeune homme.
— Et pourquoi voulez-vous apprendre ?
— Pour m’élever.
— Jusqu’où ?
Gilbert hésita. ― Il était évident qu’il avait un but dans sa pensée ; mais ce but, c’était sans doute son secret, et il ne voulait pas le dire.
— Jusqu’où l’homme peut atteindre, répondit-il.
— Mais, au moins, avez-vous étudié quelque chose ?
— Rien. ― Comment voulez-vous que j’étudie, n’étant pas riche et habitant Taverney ?