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jouant la fureur, quoiqu’il n’éprouvât que du dépit. Vous voulez que je me rende la fable de l’Europe, que je me fasse railler par mon cousin le roi de Prusse, que je réalise la cour du roi Pétaud de ce faquin de Voltaire. Eh bien ! non, je ne le ferai pas. Non, vous n’aurez pas cette joie. Je comprends mon honneur à ma façon, et je le garderai à ma manière.

— Sire, dit le dauphin avec son inépuisable douceur, mais avec son éternelle persistance, j’en demande bien pardon à Votre Majesté, il ne s’agit point de son honneur, mais de la dignité de madame la dauphine, qui a été insultée.

— Monseigneur a raison, sire ; un mot de la bouche de Votre Majesté et personne ne recommencera.

— Et qui donc recommencerait ? On n’a point commencé : Jean est un balourd, mais il n’est point méchant.

— Soit, dit M. de Choiseul, mettons cela sur le compte de la balourdise, sire, et qu’il fasse de sa balourdise des excuses à M. de Taverney.

— Je vous ai déjà dit, s’écria Louis XV, que tout cela ne me regarde pas ; que Jean fasse des excuses, il est libre d’en faire ; qu’il n’en fasse pas, il est libre encore.

— L’affaire ainsi abandonnée à elle-même fera du bruit, sire, dit M. de Choiseul, j’ai l’honneur d’en prévenir Votre Majesté.

— Tant mieux ! cria le roi. Et qu’elle en fasse tant et tant que j’en devienne sourd, pour ne plus entendre toutes vos sottises.

— Donc, répondit M. de Choiseul avec son implacable sang-froid, Votre Majesté m’autorise à publier qu’elle donne raison à M. du Barry ?

— Moi ! s’écria Louis XV, moi ! donner raison à quelqu’un dans une affaire noire comme de l’encre ! Décidément, on veut me pousser à bout. Oh ! prenez-y garde, duc… Louis, pour vous-même, ménagez-moi davantage… Je vous laisse songer à ce que je vous dis, car je suis las, je suis à bout, je n’y tiens plus. Adieu, messieurs, je passe chez mes filles, et je me sauve à Marly, où j’aurai peut-être un peu de tranquillité, si vous ne m’y suivez pas, surtout.