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broyé sous les roues de ma chaise. Ah çà, que vous est-il donc arrivé, pour tomber comme cela juste au milieu du grand chemin ?

— J’ai ressenti une faiblesse, madame.

— Comment ! une faiblesse ! Et d’où venait cette faiblesse ?

— J’avais beaucoup trop marché.

— Il y a longtemps que vous êtes en route ?

— Depuis hier quatre heures de l’après-midi.

— Et depuis quatre heures de l’après-midi, vous avez fait ?…

— Je crois bien avoir fait seize ou dix-huit lieues.

— En douze ou quatorze heures ?

— Dame ! j’ai toujours couru.

— Où allez-vous donc ?

— À Versailles, madame.

— Et vous venez ?

— De Taverney.

— Où est-ce cela, Taverney ?

— C’est un château situé entre Pierrefitte et Bar-le-Duc.

— Mais vous avez eu à peine le temps de manger ?

— Non seulement je n’en ai pas eu le temps, madame, mais encore je n’en ai pas eu les moyens.

— Comment cela ?

— J’ai perdu mon argent en chemin.

— Depuis hier vous n’avez mangé, de sorte que…

— Que quelques bouchées de pain que j’avais emportées avec moi.

— Pauvre enfant ! mais pourquoi n’avez-vous pas demandé à manger quelque part ?

Gilbert sourit dédaigneusement.

— Parce que je suis fier, madame.

— Fier ! c’est très beau d’être fier, mais cependant lorsqu’on meurt de faim…

— Mieux vaut mourir que de se déshonorer.

La dame regarda son sentencieux interlocuteur avec une sorte d’admiration.

— Mais qui êtes-vous donc pour parler ainsi, mon ami ? demanda-t-elle