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un vrai philosophe, rien à faire, pas de gronderie à essuyer. Tâchez au moins que le feu ne brûle pas, tandis que vous dormirez, et prenez soin de Mahon.

Gilbert s’inclina sans répondre. Il croyait sentir le regard de Nicole peser sur lui d’un poids insupportable ; il craignait de voir la jeune fille triomphante et ironique, et il craignait cela comme on peut craindre la morsure d’un fer rouge.

— Allez, postillon ! cria M. de Taverney.

Nicole n’avait pas ri, comme le craignait Gilbert ; il lui avait même fallu plus que sa force habituelle, plus que son courage personnel pour ne pas plaindre tout haut le pauvre garçon qu’on abandonnait sans pain, sans avenir, sans consolation ; il lui avait fallu regarder M. de Beausire qui avait si excellente mine sur son cheval qui caracolait.

Or, comme Nicole regardait M. de Beausire, elle ne put voir que Gilbert dévorait Andrée des yeux.

Andrée ne voyait rien, elle, à travers ses yeux mouillés de larmes, que la maison où elle était née et où sa mère était morte.

La voiture disparut. Gilbert, si peu de chose déjà pour les voyageurs un instant auparavant, commençait à n’être plus rien du tout pour eux.

Taverney, Andrée, Nicole et La Brie, en franchissant la porte du château, venaient d’entrer dans un nouveau monde.

Chacun avait sa pensée.

Le baron calculait qu’à Bar-le-Duc on lui prêterait facilement cinq ou six mille livres sur le service doré de Balsamo.

Andrée récitait tout bas une petite prière que lui avait apprise sa mère pour éloigner d’elle le démon de l’orgueil et de l’ambition.

Nicole fermait son fichu que le vent dérangeait trop peu au gré de M. de Beausire.

La Brie comptait au fond de sa poche les dix louis de la reine et les deux louis de Balsamo.

M. de Beausire galopait.

Gilbert ferma la grande porte de Taverney dont les battants gémirent comme d’habitude, faute d’huile.