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d’offrir à l’instant même à Gilbert sa part de la petite fortune d’Andrée, voulant se l’attacher par la reconnaissance et l’empêcher de courir au mal. Voilà ce qu’il y avait de vraiment généreux dans le projet de Nicole. Maintenant, peut-être un malveillant commentateur de sa rêverie eût-il découvert dans toute cette générosité un petit germe d’orgueil, un involontaire besoin d’humilier celui qui l’avait humiliée.

Mais ajoutons vite, pour répondre à ce pessimiste, qu’en ce moment, nous en sommes à peu près sûr, la somme des bonnes intentions l’emportait de beaucoup, chez Nicole, sur celle des mauvaises.

Andrée la regardait penser.

— Pauvre enfant ! soupira-t-elle, elle qui, insouciante, pourrait être si heureuse !

Nicole entendit ces mots et tressaillit. Ces mots laissaient en effet entrevoir à la frivole jeune fille tout un Eldorado de soie, de diamants, de dentelles, d’amour, auquel Andrée, pour qui la vie tranquille était le bonheur, n’avait pas même songé.

Et cependant, Nicole détourna les yeux de ce nuage d’or et de pourpre qui passait à l’horizon.

Elle résista.

— Enfin, mademoiselle, je serai peut-être heureuse ici, dit-elle ; au petit bonheur !

— Réfléchis bien, mon enfant.

— Oui, mademoiselle, je réfléchirai.

— Tu feras sagement, rends-toi heureuse à ta façon, mais ne sois plus folle.

— C’est vrai, mademoiselle, et puisque l’occasion s’en présente, je suis aise de dire à mademoiselle que j’étais bien folle, et surtout bien coupable ; mais que mademoiselle me pardonne, quand on aime…

— Tu aimes donc sérieusement Gilbert ?

— Oui, mademoiselle ; je… je l’aimais, dit Nicole.

— C’est incroyable ! dit Andrée en souriant ; quelque chose a donc pu te plaire dans ce garçon ? La première fois que je le verrai, il faut que je le regarde, ce monsieur Gilbert qui ravage les cœurs.