Quand le soir épaissit l’ombre des chênes, quand les derniers rayons du soleil viennent dorer en mourant les hauts pitons de cette famille de géants, on dirait alors que le silence descend peu à peu de ces sublimes degrés du ciel jusqu’à la plaine, et qu’un bras invisible et puissant développe de leurs flancs, pour l’étendre sur le monde fatigué par les bruits et les travaux de la journée, ce long voile bleuâtre au fond duquel scintillent les étoiles. Alors tout passe insensiblement de la veille au sommeil. Tout s’endort sur la terre et dans l’air.
Seule au milieu de ce silence, la petite rivière dont nous avons déjà parlé, le Selzbach, comme on l’appelle dans le pays, poursuit son cours mystérieux sous les sapins de la rive ; et quoique ni jour ni nuit ne l’arrêtent, car il faut qu’elle se jette dans le Rhin qui est son éternité à elle, quoique rien ne l’arrête, disons-nous, le sable de son lit est si frais, ses roseaux sont si flexibles, ses roches si bien ouatées de mousses et de saxifrages, que pas un de ses flots ne bruit de Morsheim, où elle commence, jusqu’à Freiwenheim, où elle finit.
Un peu au-dessus de sa source, entre Albishein et Kircheim-Poland, une route sinueuse creusée entre deux parois abruptes et sillonnée de profondes ornières conduit à Danenfels. Au delà de Danenfels la route devient un sentier, puis le sentier lui-même diminue, s’efface, se perd, et l’œil cherche en vain autre chose sur le sol que la pente immense du mont Tonnerre, dont le mystérieux sommet, visité si souvent par le feu du Seigneur, qui lui a donné son nom, se dérobe derrière une ceinture d’arbres verts, comme derrière un mur impénétrable.
En effet, une fois arrivé sous ces arbres touffus comme les chênes de l’antique Dodone, le voyageur peut continuer son chemin sans être aperçu de la plaine, même en plein jour, et son cheval fût-il plus ruisselant de grelots qu’une mule espagnole, on n’entendra point le bruit de ses grelots ; fût-il caparaçonné de velours et d’or comme un cheval d’empereur, pas un rayon d’or ou de pourpre ne percera le feuillage, tant l’épaisseur de la forêt étouffe le bruit, tant l’obscurité de son ombre éteint les couleurs.
Aujourd’hui encore que les montagnes les plus élevées sont